Nous relayons in extenso l’appel de l’ancien ambassadeur de Côte d’Ivoire en France à l’endroit de la communauté diplomatique africaine relativement au processus de décolonisation de la Nouvelle-Calédonie. Professeur d’histoire contemporaine et ancien ministre ivoirien de l’Education nationale, Pierre Kipré appelle à une solidarité autour de la cause indépendantiste kanak.
Le problème de l’indépendance kanak et les Africains
Le problème général qui nous est posé
C’est celui de l’un des derniers territoires à décoloniser dans l’ex-empire colonial français : le droit à l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie.
Vous vous souvenez peut-être de l’état de guerre civile qui avait conduit à ce qu’on a appelé l’affaire de la Grotte d’Ouvéa dans les années 80. Il y a eu, à la suite de ces moments dramatiques, une parenthèse avec le gouvernement de Michel Rocard et quelques hommes politiques qui avaient eu l’intelligence d’ouvrir la voie à la décolonisation par étapes, avec les Accords de Matignon (1988) et ensuite l’Accord de Nouméa (1998). Malheureusement, ce que l’opinion publique internationale ne sait pas, c’est que les gouvernements français suivants n’ont fait que revenir en arrière en reniant la parole alors donnée.
Un référendum en trois phases a bien été organisé, mais dans des conditions plus que discutables ; notamment lors du dernier référendum qui a eu lieu le 12 décembre 2021, la date a été maintenue alors que la pandémie de Covid19 avait créé une surmortalité parmi les Kanaks. Au nom du respect de leurs coutumes de deuil, ces derniers avaient demandé le report de la consultation. Celle-ci ayant été maintenue, ils ont refusé d’y participer. Le référendum a alors conclu au maintien dans la République avec une participation de moins de la moitié des électeurs. Et le gouvernement considère que le processus d’émancipation a eu lieu avec le choix de rester dans la République !!! Tout est fini. La Calédonie est définitivement un « Territoire d’outre-mer » de la France.
Les Kanaks ont saisi des amis, spécialistes de droit international, pour leur demander quelles possibilités leur ouvrait le droit international. Ces juristes ont conclu au non-respect des règles du droit des peuples pourtant bien définies par le droit international, résolutions des Nations Unies et arrêts ou avis de la CIJ.
Le droit des peuples a été violé sous plusieurs aspects :
– La politique de peuplement encouragée par la France a continué, même après l’accord de Nouméa
– Les listes électorales ont été manipulées comme plusieurs missions du Comité des 24 en ont fait le constat.
– La question soumise à référendum était une question fermée (pour ou contre le maintien dans la République) alors qu’un rapport de Jean Courtial et Ferdinand Mélin-Soucramanien de 2014 recommandait de poser une question ouverte avec plusieurs options (souveraineté sèche, souveraineté avec partenariat, autonomie renforcée, ou autonomie telle qu’actuellement).
– On a repoussé le deuxième tour des élections municipales en France pour cause de Covid, mais on a refusé de faire de même en Nouvelle-Calédonie alors que les rituels de deuil n’étaient pas compatibles avec les mesures sanitaires et le déroulement d’une campagne électorale.
Le FLNKS est donc convaincu que la seule issue est d’obtenir que l’Assemblée générale des Nations Unies demande à la Cour internationale de justice (C.I.J.) de rendre un avis consultatif qui pourrait porter sur la question suivante : « Le processus de décolonisation de la Nouvelle-Calédonie a-t-il été validement mené à bien au regard du droit international, notamment des résolutions de l’AGNU relatives au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, particulièrement les conditions dans lesquelles a été organisé le 3ème référendum du 12 décembre 2021 ».
La C.I.J. a rendu un avis en 2019 sur la question des Chagos que le Royaume Uni n’avait pas décolonisé avec l’île Maurice dont c’est cependant une dépendance. C’est un avis important aujourd’hui pour l’île Maurice et pour la prochaine victoire de ce pays africain. On peut donc espérer que la C.I.J. précise les défaillances du processus mené par la France et fasse avancer la cause de l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie.
Un problème de procédure se pose toutefois ici : le FLNKS n‘étant pas reconnu comme État, il est contraint de laisser des États alliés mener l’affaire pour son compte. Membre du « Groupe Fer de Lance mélanésien » que préside Vanuatu, le FLNKS s’est adressé à ce dernier pays. Mais il s’agit d’un groupe de petits Etats dont l’appui n’est pas suffisant pour porter le projet.
Que peuvent les Etats africains ?
Le FLNKS ne peut espérer recueillir le nombre de votes suffisant que s’il a des appuis importants du groupe Afrique.
Contacté par des amis français, je voudrais demander au maximum d’intellectuels et responsables politiques de notre continent d’obtenir qu’une majorité de nos Représentants permanents à l’O.N.U. porte le projet de la saisine de la Cour internationale de justice /C.I.J. pour le compte des Kanaks qui ont droit aussi d’être un peuple libre. Il suffit ici d’obtenir une majorité simple d’Etats qui accepteraient de voter la résolution par laquelle l’Assemblée générale de l’O.N.U. ordonnerait cette saisine de la C.I.J.
Actuellement, la question n’a pas été mise à l’ordre du jour au début de l’Assemblée générale de 2022. Mais il est possible, à tous moments, de demander à la IVe Commission ou au Comité de décolonisation de l’inscrire à l’ordre du jour avant la fin de la session plénière au début de janvier 2023. Il serait donc souhaitable que plusieurs délégations soient ouvertes à ce projet avant cette échéance de janvier 2023.
Une amie française, spécialiste de droit international, a préparé un projet de résolution et un exposé des motifs de ce projet qui pourraient aider ceux de nos diplomates africains qui seraient d’accord pour soutenir la saisine.
Voilà, chers amis, frères et sœurs, le défi d’action concrète contre l’impérialisme français et pour la lutte en faveur de la souveraineté des peuples qui est lancé à chacun de nous. Comme le disait feu Joseph Ki Zerbo, « Si nous ne faisons rien nous sommes morts » (Ni an lara an sara).
J’espère fortement vos réactions et propositions de contacts directs avec nos gouvernements, donc avec nos représentants permanents à l’O.N.U.
Fraternellement
Professeur Pierre Kipré,
Ancien ministre, ancien ambassadeur