J’ai retrouvé dans mes archives de journaliste agencier cette interview avec l’avocate béninoise Reine Alapini Gansou publiée par un quotidien béninois en mars 2010. J’avais rencontré à Cotonou la juriste à un colloque international sur « sociétés civiles et démocratie en Afrique ». Elle était alors présidente de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples de l’Union africaine (CADHP). Elle m’avait personnellement convaincu sur son engagement à préserver l’intégrité de la Commission qu’elle présidait face à la menace permanente d’une politisation par les Etats membres. Ce lundi matin, je l’ai retrouvée avec plaisir, présidant l’audience en demande d’indemnisation de l’homme politique ivoirien Charles Blé Goudé à la CPI.

Il a fallu l’accord de son pays, le Bénin, Etat partie au statut de Rome instituant la juridiction pénale permanente, pour occuper son poste. Pourtant la juge Alapini Gansou n’est pas à la CPI pour représenter son continent d’origine encore moins le Bénin. Elle a l’occasion de dire le droit, d’avoir le verbe haut et digne devant le monde entier, sans trembler.
Ce n’est pas le cas de ses anciens collègues du système judiciaire béninois qui ont perdu de leur superbe et de leur crédibilité en multipliant des décisions d’un ridicule affligeant ces dernières années.
Il paraît que c’est de l’intérieur qu’on peut changer un système, loin des cris d’orfraie stériles du militantisme. Le sociologue suisse Jean Ziegler évoque le concept « d’intégration subversive » pour désigner l’action militante de tous ceux, qui quand ils font carrière dans des institutions internationales ou sont au cœur de processus décisionnels, entendent changer les choses de l’intérieur pour impacter l’humanité ou leur communauté locale. De vrais leaders !
Au jeune helvétique Ziegler décidé à rejoindre la révolution cubaine, Ernesto Guevara avait conseillé en 1964 à Genève: « Le cerveau du monstre est ici. C’est là que tu dois te battre”
Il n’avait pas tort le Che. A chacun son couloir ! Dans le sien, l’infatigable altermondialiste Ziegler n’a jamais été obsédé par sa carrière aux Nations-Unies. Il a toujours dit ce qu’il pensait. Ses différentes fonctions dans les agences onusiennes ont été de franches occasions de plaidoyers et d’actions pragmatiques réussis.
L’intégration subversive de Ziegler peut-elle vraiment fonctionner ?
On peut facilement rétorquer que Ziegler issu d’une lignée bourgeoise n’a pas la situation d’un jeune Farafinois sorti des bas-fonds de la société pour se faire une place au soleil. Manger à la table des rois et mettre à l’abri du besoin les siens constituent une fin en soi pour ce dernier, une prouesse aux yeux de la génération qui connaît l’histoire de sa vie.

Mais à quoi sert-il de manger à la table des rois, si on n’est pas capable de se regarder dans le miroir de la probité pendant la digestion ?
A quoi sert-il de rechercher le pouvoir et l’influence si c’est pour reproduire l’establishment paupérisant ?
Les réussites sociales individuelles de personnalités farafinoises sur le plan international dans différents domaines sont à saluer. Mais la somme de ces réussites ne fera pas la réussite du continent si elles sont faites pour reproduire une philosophie d’accumulation et de concentration individuelles de richesses.
La question, c’est comment on change les choses, si l’obsession du carriérisme pour « assurer ses arrières » prime sur des valeurs de probité morale?
Il est possible de penser intérêt général avant de penser intérêt particulier. Il est possible de briller au milieu de sa génération sans être séduit par les sirènes de la corruption et de l’ascension sociale stipendiée. C’est aussi le combat d’une vie. A chacun son couloir. A chacun sa mission.