Cette année, je n’ai pas eu le bonheur d’échanger avec ma consœur congolaise Jemimah Diane Mogwo. On avait pris l’habitude de plaisanter sur les « coupages » ( jargon journalistique pour évoquer les faveurs financières d’officiels à l’occasion de la nouvelle année ou d’un reportage ) auprès des sénateurs, ministres et députés nationaux et provinciaux. Jemimah est décédée le 24 novembre dernier à Kinshasa, après son agression deux jours auparavant par des kulunas, ces bandits urbains ( en Côte d’Ivoire, on les appelle microbes ) qui attaquent à l’arme blanche vous dépouillent, découpent ou arrachent la vie pour des vétilles. La journaliste tentait de regagner son domicile à moto-taxi après avoir présenté le dernier JT de 23 h à la Télévision congolaise. Grosse perte et indignation !

J’ai rencontré Jemimah en 2012 à Kinkala dans le Pool, à l’occasion des festivités tournantes de la Lipanda (fête nationale) au Congo-Brazzaville. J’y effectuais une pige pour le compte d’Africable. Depuis, elle était devenue un précieux contact au pays de Lumumba. Je peux en parler aujourd’hui sans trahir un secret. En 2019, c’est elle qui m’a donné le contact du colonel Eddy Kapend, aide de camp de Laurent-Désiré Kabila. L’officier avait été reconnu coupable d’atteinte à la sûreté de l’État, après l’assassinat du Mzee, en janvier 2001. Il faisait partie des 51 personnes condamnées par la justice congolaise dans cette affaire. Le colonel Kapend était encore en prison malgré une mesure d’amnistie. Pour le compte de l’association française Prison Insider présidée par mon confrère Bernard Bolze, je recueillais des témoignages de personnes privées de libertés en Afrique occidentale et centrale. L’idée étant de donner la parole à l’intérieur des prisons. L’officier congolais réhabilité depuis 2023 par Félix Tshisekedi m’avait livré son vécu en 19 ans de détention.
https://www.prison-insider.com/…/rdc-la-prison-apprend…

Jemmimah est donc morte, dans la fleur de l’âge, lâchement agressée par des kulunas. Depuis quelques jours, la polémique enfle au sujet de l’exécution médiatisée de la peine capitale par la justice congolaise. On annonce deux premières vagues de kulunas exécutés publiquement. Le débat est ouvert entre juristes pénalistes, criminologues, sécurocrates, activistes des droits humains sur l’efficacité d’une telle mesure.

Félix Tshisekedi a décidé de prendre le taureau par les cornes en montrant l’image d’un président qui maîtrise la situation à Kinshasa. Son meilleur fusible, c’est son nouveau ministre de la Justice : teigneux et crédité d’une probité rare dans le milieu politique kinois. Félix Tshisekedi sait que son régime se fera taper sur les doigts par la nasse universaliste d’admonestations défavorables à la peine de mort. Mais il est prêt à brandir l’argument de la dissuasion contre ces gangs urbains.

Ces exécutions ramèneront-elles Jemimah à la vie ? Non. Pourront-elles soulager la peine des familles éplorées ? Je n’en sais rien. Peut-on faire de ces tueurs de nouvelles personnes ? Certainement. Les assassins de Jemimah et de centaines d’anonymes courent encore à Kinshasa. Ils font profil bas depuis les deux premières vagues d’exécutions. Les débats de canapé continuent. Tant qu’on n’est pas touché par une situation, on est plus loquace à émettre des « il faudrait ».

Zran Fidèle GOULYZIA

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Docteur en Droit international - Ecrivain - Journaliste