Lecture achevée ! « Les grands procès de la République sous l’ère Houphouët-Boigny » de Me Louis Métan. Récit passionnant de 75 ans de péripéties judiciaires en Côte d’Ivoire. L’affaire de Treichville, l’affaire du Sanwi, le procès dit des jeunes, le procès dit des anciens, l’affaire Kragbé Gnagbé, l’affaire Dioulo, le procès du 18 février 1992.
Que retenir ? Même si le PDCI est devenu plus tard une aristocratie frappée par l’usure du pouvoir, il a mené une lutte historique qui mérite respect. Houphouët-Boigny est un stratège politique hors pair. Mais un stratège qui a mêlé cynisme et bienveillance. En 1950, le gouverneur Péchoux avait pour mission de casser le PDCI. Étienne Djaument est son bras séculier local.Le désapparentement du PDCI avec le parti communiste français a été négocié avec François Mittérand contre la libération d’illustres camarades dont Bernard Dadié. Tout se négocie. Même quand on croit avoir un rapport de forces favorable.
Que dire du procès des jeunes en 1963 et de celui des anciens en 1964 ? Le cynisme d’État dans sa plus froide expression avec une juridiction d’exception aux ordres où les juges d’instruction bouclaient les dossiers dans le domaine privé d’Houphouët à Yamoussoukro. Dans sa cellule d’Assabou, Ahmadou Thiam ( père de Tidiane) dira à Koné Kodiara: »Dieu est grand ». Et Kodiara de lui répondre: » Dieu est mort ici! » Houphouët-Boigny reconnaîtra lui-même: » on m’a trompé. »
Au sens juridique stricto sensu, il n’y a jamais eu de génocide guébié. Tout est parti d’une rumeur après des propos d’Houphouët évoquant des milliers de morts. L’élément moral discriminant impliquant l’élimination intentionnelle intégrale ou partielle de l’ethnie guébié fait défaut. Les statistiques documentées indépendantes font état de 71 morts.
L’affaire Dioulo contre la BNDA! Gloire et décadence ! Quel enseignement ! Une richesse personnelle construite sur la base d’un quota d’exportation de produits de rente octroyé à des barons du parti. Dioulo, maire central d’Abidjan, financier à tout faire d’élus locaux en 1980, obligé de fuir son pays, d’y revenir pour y mourir sans sous. D’administrateur civil à sous-préfet de Bouna ou directeur de l’Arso ( qui a géré l’aménagement de San Pedro), sa fulgurante ascension avait commencé à gêner dans la bataille pour la succession d’Houphouet qui depuis 1965 avait porté son choix sur Bédié, au détriment de Yacé.
Et puis il y a ce grand procès des » marcheurs-casseurs » de l’ère démocratique avec un autre monstre politique qui défie le monstre tutélaire. Cette formule de Gbagbo : « Houphouët croit que nous allons continuer de marcher. Il s’est trompé, nous allons courir mais lui, sera devant ». Quelle audace en 1992 ! Le » Woody » n’a pas usurpé son surnom. Le pouvoir court-circuite le délibéré. La Cour d’appel est dessaisie de l’affaire au moyen d’une procédure en suspicion légitime.Son président Yanon Yapo est présenté par le Procureur général comme » un démocrate » proche de la cause des marcheurs. Une loi d’amnistie réglera finalement l’affaire.
La conclusion de l’ancien bâtonnier est d’une résonance actuelle : » L’un des atouts du système Houphouët-Boigny a été de régler en fin de compte les problèmes de manière politique. En considérant que les procès étaient politiques, il leur trouvait en définitive une réponse politique, l’instant du vacarme passé et la foule apaisée ». L’ atout inspire t-il encore ses héritiers ? Rien n’est moins sûr.
La justice ivoirienne entre grandeur et sujétion. Que nous réserve le juge constitutionnel ivoirien dans quelques mois ? Le bégaiement de l’Histoire ou l’affirmation de son indépendance ? Les paris sont ouverts.