Il vient de réussir un sacré coup médiatique et stratégique avec son arrestation pour avoir brulé symboliquement un billet de FCFA. Le polémiste panafricain Kemi Seba est sous le feu des critiques. Acte maladroit, improductif, s’indignent certains observateurs. « On tient l’élément déclencheur de la révolution en zone UEMOA et CEMAC », s’enthousiasment d’autres.Difficile de ne pas réagir à cette polémique.
Que tous ceux qui derrière leurs claviers s’insurgent contre une méthode indisciplinée, peu raffinée se détrompent. Kemi Seba est tout sauf le dernier des idiots. Récemment, un chroniqueur africain a tenté maladroitement de délégitimer Kemi Seba, estimant que la cause du FCFA méritait mieux qu’un soi-disant « super-héros » se pavanant avec un passeport français et fiché « S » en France. Attention aux caricatures ! La sortie du FCFA a été déjà théorisée par d’éminences grises sur le continent. Qui mieux que l’ancien patron de la Commission économique de l’ONU pour l’Afrique, le Bissau-Guinéen, Carlos Lopes, aura donné un uppercut aux tenants de la théorie de l’intouchable CFA. Ne comptez pas sur Alassane Ouattara ou Macky Sall pour dénoncer ce système dont ils sont eux-mêmes purs produits. Alpha Condé, Obiang Nguema, Sassou Nguema ou Idriss Déby s’autorisent des libertés de ton sur le débat.Mais ils sont vite rattrapés par les réalités imposées par la gestion de la chose étatique.Dans la lutte contre le CFA, l’éveil d’une conscience citoyenne passe par des tribuns de la carrure de Seba.
Fin stratège, tribun invétéré au bagout probant, Kemi Seba sait pertinemment que sa noble campagne contre le CFA lancée début 2017 tarde à rallier et mobiliser les masses, substrat de toute lutte d’obédience marxiste révolutionnaire dont il s’inspire. Après quelques tournées dans des capitales africaines, il était temps de passer à autre chose. Son délit prémédité s’inscrit dans cette veine: brûler un billet de FCFA, un délit au sens du droit positif sénégalais, susceptible d’enclencher des poursuites pouvant déboucher sur un retentissant procès. Le procès de la BCEAO contre Kemi Seba (s’il avait lieu) serait aussi celui du FCFA, au coeur de la capitale sénégalaise qui abrite le siège de l’institution. Gain politique et médiatique assuré pour un mouvement anti-CFA! Même s’il encourt une peine privative de liberté allant de cinq à dix ans, Kemi Seba dit vouloir se sacrifier pour sa génération. Et c’est là où son message cesse d’être intelligible à mon niveau.
Le temps des martyrs sur le continent me semble révolu.Toute ma gêne réside dans le fait que cela sonne comme du déjà entendu. Nous sommes fatigués de pleurer des martyrs pour voir des néo-martyrs allonger la liste des Lumumba, Sankara, Nasser…
Des Kemi Seba, l’Afrique en enfantera toujours parce que l’Histoire de la renaissance des peuples noires est en marche et est un mouvement irréversible. Mais ce Kemi Seba déchirant un billet de 5000 FCFA à la place de l’Obélisque à Dakar, l’Afrique en a encore besoin. Je ne pense pas qu’un Kemi Seba en prison de surcroît en terre africaine, embastillé par ses propres frères africains, soit utile à la cause, à moins que l’objectif recherché in fine soit d’apparaître en second Mandela sur le continent. Sur ce terrain, je pense que le polémiste joue prodomo et n’est pas loin d’un syndrome de mégalomanie.
J’ai toujours pris mes distances avec les thèses du polémiste sur le retour initiatique et cultuel aux religions africaines ou encore la riposte radicalisante de la haine à la haine systémique. Ils ne sont pas nombreux ces jeunes leaders africains capables d’aller au charbon, être à l’aise aussi bien sur un plateau de télévision que face à une foule hystérique de militants.Son discours qui s’abreuve au courant rhétorique des militants noirs afro-américains me rappelle un certain Eldridge Cleaver, symbole d’une Amérique des années ségrégationnistes.Mais les positions conciliantes d’Eldridge Cleaver à la fin de sa vie montrent que la haine et la violence ne nous mèneront nulle part.
Face à l’impérialisme occidental, je préfère la rupture et la nationalisation intelligentes et méthodiques du Bolivien Evo Morales au populisme de Jaime Roldos qui n’a pas survécu en 1981 à l’explosion de son avion, juste après l’annonce dans un stade de la nationalisation des champs pétrolifères de l’Equateur.
La conscience citoyenne et populaire incarnée par Kemi Seba devra se fondre dans le changement structurel de nos économies encore calquées sur un modèle colonial d’exportations de matières premières. Mais cela, tout le monde le sait mais personne ne veut avancer les pions.
Assis devant la case reconstituée du roi Makoko, case qui avait abrité la signature d’un protectorat ayant bradé (ou presque) la ville de Brazzaville à l’explorateur Savorgnan de Brazza, ces paroles d’Arthur Shopenhauer dans l’art d’avoir toujours raison me parlent:
« On peut en effet avoir objectivement raison quant au débat lui-même tout en ayant tort aux yeux des personnes présentes, et parfois même à ses propres yeux… Donc, la vérité objective d’une proposition et la validité de celle-ci au plan de l’approbation des opposants et des auditeurs sont deux choses bien distinctes »
Et le philosophe allemand de s’interroger:
« D’où cela vient-il ? De la médiocrité naturelle de l’espèce humaine. Si ce n’était pas le cas, si nous étions foncièrement honnêtes, nous ne chercherions, dans tout débat, qu’à faire surgir la vérité, sans nous soucier de savoir si elle est conforme à l’opinion que nous avions d’abord défendue ou à celle de l’adversaire »
Je suis Kemi Seba mais pas jusqu’au bout et pas de cette façon !