Que faut-il retenir de la première journée d’audition de l’ancien chef d’état-major de l’armée ivoirienne sous Laurent Gbagbo? Le premier jour de témoignage de Philippe Mangou a cristallisé toutes les attentions ce lundi et sûrement pulvérisé les statistiques d’audience des chaînes de télé panafricaines qui se consacrent à la retransmission du procès de l’ancien chef d’Etat ivoirien et de son dernier ministre de la Jeunesse.
J’ai longtemps hésité à écrire, ayant en tête ces conseils de compatriotes ou d’amis africains qui suivent mes publications . « Petit, laisse cette affaire sensible, tu vas t’attirer des ennemis pour rien »; « Quand on ne sait rien des affaires militaires, on regarde et on se tait ! ». Des remarques pertinentes qui semblent porter des germes de condescendance. Les réseaux sociaux ont enfanté une nouvelle race d’intellectuels et d’objecteurs de consciences qui ont la prétention de tout connaître en disséquant tous les sujets qui leur tombent sous la dent. Je ne suis pas de cette race et il en faudra plus pour venir à bout de ma volonté de m’exprimer en toute indépendance d’esprit.
De la posture républicaine du général Philippe Mangou
Ma seule rencontre avec le général Mangou remonte à avril 2010 à Cotonou, à l’occasion de la 27è réunion ordinaire du comité des chefs d’Etat-major de la CEDEAO.Crise ivoirienne oblige, le militaire ivoirien était la vedette parmi ses pairs ouest-africains.Silhouette svelte lui donnant un air de jeune loup dans un uniforme près du corps; une rupture évidente dans cette sorte de gérontocratie ambiante au sein des grandes muettes de la région. Au sortir de la réunion, je me suis présenté à lui comme journaliste ivoirien de l’agence de presse Alerte Infos spécialisée dans la fourniture de l’actualité en temps réel par SMS.Le général Phillipe Mangou était l’un des fidèles abonnés de l’agence de presse qui m’employait. Sur une centaine de mètres, aux côtés du spécialiste des questions militaires de la télévision nationale ivoirienne, Louis Adjé, il n’avait pas hésité à mettre sa main sur mes épaules jusqu’à son véhicule, ignorant avec élégance les micros des chaînes béninoises qui l’avaient aussitôt assailli à sa sortie.Un peu intimidé par son charisme, j’avais vite fait d’improviser un échange avec lui.
« Mon général, vous êtes ce matin la vedette parmi vos pairs ». Un large sourire illumina son visage. » Ahh Alerte Info, Vous avez déjà informé tout Abidjan de ma présence,. C’est bien ce que vous faites.bon courage pour votre travail de terrain! », s’était-il exclamé avant de monter dans son véhicule. J’ai encore en mémoire ces paroles de cet acteur majeur de la crise ivoirienne. Sept années se sont écoulées. Le contexte a bien changé.Celui qu’une partie de la jeunesse ivoirienne avait élevé au rang de « héros » est présenté comme un traître de haut vol, argument pris de sa reddition spectaculaire et de son allégeance au pouvoir Ouattara, doublées de sa nomination au poste d’ambassadeur de la Côte d’Ivoire au Gabon.
Mangou a -t-il réellement trahi Gbagbo?
Assurément Phillipe Mangou est un sachant de premier choix du dénouement de la crise ivoirienne et chacun de ses mots aura son pesant d’or.Pour ce premier jour d’audition, tous ceux qui avaient crié à la trahison de Phillipe Mangou attendaient juste « la phrase qui tue ». Pas évident qu’ils aient eu du grain à moudre pour leur moulin.
La fébrilité des premières minutes dans la voix de l’officier général a laissé place à un Phillipe Mangou beaucoup plus décontracté, ayant une posture pédagogique dans ses déclarations. Une démarche pédagogique sur l’utilisation des engins de guerre et d’actes administratifs pris dans le feu des opérations qui honore sa formation militaire d’une qualité singulière et met en valeur sa posture républicaine. On a senti à chaque fois un certain respect à l’évocation du nom de l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo.
En tout cas, indifféremment de leurs positions politiques ultérieures, la Côte d’Ivoire peut être fière de cette génération de militaires, de policiers, de marins, de gendarmes formés à la sève du respect de la chose républicaine, gage de toute stabilité. Chapeau bas à Abdoulaye Coulibaly, Lassana Palenfo, Robert Guei, Soumaïla Bakayoko, Guai Bi Poin, Brindou M’Bia, Michel Gueu, Kassaraté, Philippe Mangou, Vagba Fossigno, Dogbo Blé, Detho Leto.Mais on est bien loin du compte aujourd’hui ! C’est un autre sujet !
Déresponsabilisation et rupture dans la chaîne de commandement de l’armée, bon ou mauvais point pour l’accusation?
« Donc Mangou n’est responsable de rien alors? Ce sont les autres. Il ne savait jamais rien lui! « , s’est exclamé un compatriote, à l’écoute de l’ancien chef d’état-major de l’armée ivoirienne. Ce que l’on retiendra surtout de ce premier round de Mangou, c’est sa loquacité sur l’état d’esprit des personnalités comme le chef de la garde républicaine Dogbo Blé. La nette impression que Phillipe Mangou a donné est celle d’un général animé d’une très grande volonté républicaine mais certainement exaspéré par le contournement de ses « propositions ».Le dépit de l’ancien chef d’état-major s’est traduit par cette phrase maintes fois entendue ce matin au prétoire: « j’ai proposé… mais cela n’a pas été suivi certainement… ».
N’hésitant pas à distribuer de bons points à tous les officiers sous son commandement, il n’a pas manqué de fustiger le trop grand zèle de Dogbo Blé (dont il est le témoin de mariage et qui rasait les murs avant sa nomination) après sa nomination à la garde républicaine, avec l’exemple de réunions de coordinations boycottées ou de téléphones d’officiers confisqués. Que dire de cette scène surréaliste antérieure à la crise postélectorale d’officiers supérieurs tabassés par des soldats du rang pour avoir participé à un dîner à l’ambassade de France?
Mais plus grave, la mise en cause de la loyauté du commandant supérieur de la gendarmerie Kassaraté et du patron de la police Brindou M’Bia qui « ne jouaient pas franc jeu » dénote de la méfiance au sein du haut commandement ivoirien, au plus fort de la crise postélectorale. La question de la trahison ne date donc pas des nominations aux postes d’ambassadeurs. Elle était latente.
Ces exemples pourraient postuler l’idée d’une armée sans leadership assumé, d’une rupture dans la chaîne de commandement classique de l’armée et l’existence d’une chaîne de commandement parallèle et obscure, cerveau d’une planification meurtrière. C’est une piste sur laquelle pourrait s’engouffrer l’accusation qui brandit invariablement la thèse d’un plan commun ourdi par les plus radicaux dignitaires de l’ancien régime d’Abidjan.
Or, pour cette première journée, c’est bien le contraire de cette thèse que Phillipe Mangou avance.
« jamais il n’a été question de blocus au golf Hôtel », « Abobo n’a jamais été déclaré zone de guerre, c’est moi qui en ai fait la proposition au président Gbagbo.Mais il a dit non »
Ni Simone Gbagbo, ni Blé Goudé ne participaient aux réunions du haut commandement militaire.
Sur l’utilisation de certaines armes en milieu urbain, le général Mangou semble dire aux juges de la CPI que l’armée ivoirienne était imprégnée des règles élémentaires du droit international humanitaire et qu’elle n’a pas été formée pour commettre des massacres de civils planifiés, comme l’indique la charpente de l’argumentation juridique de Fatou Bensouda.
L’erreur de la défense serait de penser que Phillipe Mangou est subitement devenu un ennemi de Laurent Gbagbo et de Blé Goudé et de l’acculer dans l’interrogatoire. Le « fils du pasteur » n’a pas, d’un seul tour de magie, perdu les vertus à lui inculquées par la connaissance du Christ. La semaine d’audition nous le révélera certainement.