C’est l’histoire d’un soldat qui par mégarde se tire une balle dans le pied, avant même le début de l’offensive contre l’ennemi et doit traîner sa blessure tout au long des combats, avec la menace d’une amputation avant le terme des hostilités. Un récit aux parfums allégoriques qui n’est pas sans rappeler la genèse de la Cour pénale internationale.
Le ver est dans le fruit
Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, la communauté internationale, traumatisée par les atrocités des champs de batailles et les dégâts d’idéologies nazis et fascistes, a voulu aller au delà des tribunaux de vainqueurs de Nuremberg et Tokyo.
Le corpus juridique réglementant le droit de la guerre ou droit international humanitaire, c’est à dire la conduite des hostilités et la protection des civils, s’est étoffé au fur et à mesure de nouvelles conventions spécifiques et protocoles additionnels.
Le statut de Rome de 1998 instituant la Cour pénale internationale était une victoire en soi.De nombreux juristes avaient critiqué le mode de saisine de cette juridiction internationale qui avait laissé glisser la possibilité d’une saisine par le Conseil de sécurité de l’ONU, organe hautement politique. En réalité, cette passerelle du droit faisait entrer insidieusement le ver dans le fruit. Les délégations israéliennes, chinoises, russes, américaines ne se sont jamais appropriées ce statut, faisant de cette juridiction un instrument « mort-né ». A quoi servait une Cour qui serait incapable de juger parmi tant d’exemples lugubres, le gros mensonge de Bush dans sa guerre de » civilisation » contre l’Irak, et dont on sait aujourd’hui que les fondements étaient manipulés? Et bien à être le joker d’une régulation géopolitique des puissants de ce monde.
La CPI a commencé fonctionné sans police propre, donc sans moyen de coercition, s’en remettant à l’aimable coopération des Etats membres ou Etats ayant reconnu sa compétence; bien sûr quand cette compétence complémentaire ne rivalisait pas celle d’une juridiction nationale.
La CPI a fonctionné surtout avec les méthodes du très médiatique et sulfureux procureur Louis Moreno Ocampo dont le modus operandi semble ne pas s’être dissocié de la gouvernance de la connivence, celle de l’ombre qui pousse les pions.
Ce que démontrent les révélations de Mediapart sur le cas Gbagbo
Jeudi, le site d’investigations Mediapart a jeté un pavé dans la marre, en révélant les tractations ayant conduit à ce qu’il est presque convenu d’appeller la « déportation » de l’ancien président ivoirien à la prison de Sheveningen. Un transfèrement d’une vacuité juridique ahurissante, au moment de son exécution, selon les investigations du média français.
Pourquoi le cas de l’ancien président ivoirien cristallise-t-il tant d’attentions là où le Congolais Jean Pierre Bemba ou le Libérien Charles Taylor n’attirent pas grande sympathie au delà de leurs propres partisans? L’ancien vice-président congolais avait pourtant été victime du lâchage de Joseph Kabila qui le voyait comme un encombrant co-gérant du pouvoir à Kinshasa. L’ancien président nigérian Olusegun Obasanjo n’avait pas résisté aux pressions de la Communauté internationale et avait, à son corps défendant livré, pieds et poings liés, Charles Taylor. Bemba et Taylor ne se sont jamais défaits de leurs images de chefs militaires aux mains entachées de sang.Les condamner pour l’exemple semble avoir été le fil rouge de toutes ces procédures judiciaires.
Un parfum nauséeux de connivence à grande échelle entoure le cas de Laurent Gbagbo dont les détracteurs ont construit à tort ou à raison l’image d’un « boucher » et d’un « boulanger des lagunes ». On ne refera pas l’histoire récente de la Côte d’Ivoire. On doit tout simplement tirer les enseignements des errements de chaque camp. Mais il faut reconnaître que c’est inédit et surréaliste dans l’histoire des contentieux électoraux dans le monde: un palais présidentiel bombardé six mois après les résultats définitifs d’un Conseil constitutionnel (certainement partisan au même titre que la Commission électorale et qui aurait du annuler un second tour de présidentielle aux allures de traquenard électoral pour éjecter l’élément le moins docile de l’arène politique ivoirienne)
La Cour pénale mérite d’exister
« Jeter le bébé et l’eau du bain » ne résoudra pas grand-chose. Taxer de racisme « noir » la Cour quand les Africains continuent d’être des acteurs de crimes de guerre et crimes contre l’humanité sur le continent est improductif. Rectifier le tir dans l’approche lacunaire du procureur Fatou Bensouda, oui ! C’est révoltant par exemple de chercher obstinément à faire condamner Seif El Islam, le rejeton de Mouammar Kadhafi, sans engager la responsabilité indirecte ou à tout le moins morale (même si une Cour n’est juge de la moralité) de Nicolas Sarkozy et de son acolyte Bernard Henry-Lévy qui ont défiguré impunément la Libye.
La Cour se ridiculise elle-même quand elle cherche à mettre le grappin sur le Soudanais Omar El Béchir qui peut encore passer entre les mailles d’un système de coercition encore trop faible.
Elle marque par contre de très bons points quand, dans le premier procès pour destruction de biens culturels de son histoire, elle condamne le Touareg malien Ahmad Al Faqi Al Mahdi à 9 ans de prison et au versement de 2,7 millions d’euros de réparations pour destructions de mausolées à Tombouctou.
Pour le cas Gbagbo, elle joue tout simplement sa crédibilité !