Au moment où la Constitution française du 4 octobre 1958 instituant la Ve République a 60 ans, il me vient le souvenir vivace de cette photo vieille de 15 ans prise aux côtés du Pr Yao Paul N’dré, mon professeur en maîtrise de droit public, nommé quelques années plus tard président du Conseil constitutionnel ivoirien.
Le disciple que j’étais à cette époque avait une aveuglante fascination pour le maître lui même issu du moule du droit romain et de la culture constitutionnaliste française.
Le sujet est moins médiatique que la passionnante thématique de l’avenir du FCFA. Pourtant le lien colonial est tout aussi pesant. Le droit en général et le droit constitutionnel en particulier a ceci d’ésotérique que ses débats les plus intenses évoluent et se fétichisent en vase clos entre érudits, constitutionnalistes grisés par la flatterie du parchemin et disciples d’érudits souvent pâles copies des maîtres pour lesquels ils vouent une dévotion de monastère.
Avant de s’attaquer au lien colonial de la monnaie voulue par De Gaulle, les Africains doivent avoir à l’esprit que leur vie politique avait été déjà régulée et conditionnée parce que calquée sur un modèle existant: le savant dosage des Constitutions françaises de 1946 et 1958.
Le mal n’est pas d’avoir calqué le modèle français pour sortir de la hantise d’un vide juridique inhérent aux Etats embryonnaires issus de la décolonisation. Le drame, c’est d’avoir continuer systématiquement à perpétuer un héritage colonial et d’en avoir perverti même l’esprit et la lettre.
Les élites issues des indépendances ont certes ajouté leurs ingrédients selon les réalités locales, créant souvent des mécanismes originaux dans le corpus juridique positif des Etats. C’est un mérite à ne pas nuancer. Mais de nombreuses constitutions africaines ont fait l’objet de tripatouillages pour consacrer un déséquilibre des pouvoirs au profit de l’hyper-puissance de l’Exécutif.
Il n’y a pas de développement ex-nihilo sans référent. Mais quand on veut sortir d’un paradigme de dominant-dominé, il faut s’approprier une démarche holiste qui investit tous les domaines où l’on a été assujetti. L’indépendance est à ce prix. A défaut, les clones intellectuels issus de ce moule constitutionnaliste continueront à reproduire cette douce influence qui colle si bien à la peau de ceux qui pour exister doivent regarder dans le miroir de l’autre. Cesser d’être des clones intellectuels à la pratique est un choix. C’est déjà dans la tête que la rupture doit s’opérer.