J’ai retrouvé dans mes archives de reporter cette interview avec l’historien et homme de médias béninois Jérôme Carlos. Je l’ai réalisée en juillet 2010 à Cotonou pour le compte de l’agence de presse Alerte Info. A la faveur du cinquantenaire des indépendances farafinoises, l’historien et moi avions évoqué son parcours en Côte d’Ivoire, le refus audacieux de Laurent Gbagbo d’assister au défilé du 14 juillet sous Chirac et la question du panafricanisme.

L’intellectuel béninois avait fui le régime marxiste-léniniste de Kérékou très allergique aux intellectuels pour s’installer en Côte d’Ivoire. Il présentait à l’époque une émission littéraire à la télévision nationale ivoirienne. Il a écrit les plus belles pages de l’influent magazine hebdomadaire Ivoire Dimanche avec l’illustre journaliste ivoirien Diégou Bailly, son adjoint à l’époque. Jérôme Carlos est un exemple éloquent de ce que le panafricanisme voulait dire dans la tête du premier président ivoirien. Houphouët capable de torpiller la lumineuse idée de la Fédération du Mali de son doux rival Senghor et du socialiste Modibo Kéita, en leur opposant le fantomatique Conseil de l’Entente; le même Houphouët prompt à tendre la perche à tous les frères farafinois en difficulté, au nom de la vocation d’hospitalité de la terre ivoirienne, sans proclamer urbi et orbi son panafricanisme. C’est finalement aux actes politiques forts posés qu’il faut juger un homme de pouvoir.

Absence d’un rêve commun qui transcende les réussites individuelles

Ceux qui rêvent d’Etats-Unis d’Afrique à la Kadhafi, c’est-à-dire d’une superstructure étatique dans laquelle viendraient se fondre tous les particularismes farafinois, se trompent lourdement. Ce qui manque aux Africains, ce n’est pas une pâle réplique structurelle de l’Union européenne. Ce qui manque aux Farafinois, c’est un projet commun qui transcende les réussites individuelles de talents pris isolément. Un projet commun qui parlera plus fort que la fatalité ambiante qui fait croire qu’il faut entrer dans les rangs, se taire pour se réaliser socialement et espérer atteindre la sphère des privilégiés.

Un Sénégalais et un Malien doivent être capable d’exprimer leur solidarité agissante envers un Ivoirien en difficulté; en terme d’horizontalité dans leurs rapports, les peuples sont très en avance. Les politiques moins. Si un politique ouest-farafinois décide de sortir de l’UEMOA, il se trouvera une voix sénégalaise, malienne ou burkinabé soutenue dans l’ombre pour l’étouffer, le contrarier par tous les moyens. Quand bien même il montrerait la voix de l’émancipation authentique par son audace personnelle, aucun Etat farafinois ne peut sortir du ventre du boa gaulois tout seul. En cela, la philosophie du panafricanisme, âme et arme de l’indépendance, tient toute sa place de choix.

Panafricanisme, indépendance, souveraineté se nourrissent à la même mamelle de l’autodétermination, c’est à dire de la volonté et de la capacité des peuples de penser, faire, par eux-mêmes, pour eux-mêmes. La souveraineté est une fiction juridico-politique qu’il faut habiller économiquement, financièrement et militairement. Elle ne se nourrit pas de discours ni d’incantations. Même quand le peuple est éduqué à cette prise en charge de son propre destin, il semble que tout ce habillage n’est possible que par une volonté politique affirmée de ceux qui exercent le pouvoir politique. En même temps, il sera difficile désormais de mobiliser des masses à doses généreuses de meetings dans des agoras étouffant d’irréductibles militants – Je n’emploierai pas le terme de populisme, je n’aime pas cette fabrication élitiste pour discréditer toute prise de conscience adoubée par les masses laborieuses – Il en faut plus pour mobiliser cette jeunesse farafinoise avide de concret.

Comme le Pingouin , qui en terre tropical ivoirienne, dévore actuellement de délicieuses tranches d’oranges, il faut bondir sur sa proie comme un tigre sans perdre le temps à proclamer sa tigritude. Il est possible de montrer avec stratégie et méthode toute la laideur de l’exploitation structurelle dans laquelle sont baignées toutes les anciennes colonies françaises. On peut dire Non à ceux qui refusent de voir l’empire colonial décliner. Sans haine ni violence. On peut être panafricain sans le proclamer mais travailler dans le sens du panafricanisme. Ceux qui tancent le panafricanisme en évoquant « un populisme creux « se rient d’eux-mêmes. Ils se moquent du manque de vision et de projet commun qui affame ce continent réduit à l’obsession de réussites individuelles flambantes sur le terreau d’une corruption sauvage – Toutes les réussites farafinoises ne sont pas le fruit d’une corruption systémique non plus – . En revanche, espérer mobiliser des masses au nom d’un panafricanisme douteux, sans une offre concrète de rupture intelligente, méthodique et structurée, est une vaine entreprise.

Vous avez dit Rupture intelligente, méthodique, et structurée ?

C’est possible et ça va se faire !

Zran Fidèle GOULYZIA

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Docteur en Droit international - Ecrivain - Journaliste