Bien curieuse la sobriété de certains médias francophiles – très hardis d’habitude dans le bashing des régimes militaires au pouvoir au Niger, au Faso et au Mali – relativement à la libération de Kidal par les forces armées maliennes ces dernières semaines. D’abord par la voix d’experts choisis et d’un correspondant – on comprend aujourd’hui qu’il est bien plus qu’un simple reporter « qui ne fait que son travail » – qui ont tenté de minorer la donne par cette formule : « entrer à Kidal ce n’est pas maîtriser Kidal ». Et quand un magazine parisien en papier glacé s’est décidé à en parler à coups d’articles sponsorisés, cela a donné « Avec l’aide des mercenaires de Wagner… Assimi Goïta… ». L’épouvantail russe, raccourci tout trouvé pour ne pas se regarder dans son propre miroir. Comme le martèle l’Américain Henri Kissinger, « la diabolisation de Vladimir Poutine n’est pas une politique; c’est un alibi pour ne pas en avoir une ».
De nombreuses éminences grises parisiennes ne digèrent pas encore le fiasco sahélien. Personne ne dit que tout est rose au Mali. Mais on parle de la même armée malienne moquée dix ans en arrière pour l’indigence de son arsenal, la mauvaise formation de ses troupes et les surfacturations faisant passer une paire de chaussettes de fantassin à plus de 30 euros. C’est à croire que dans la tête de certains Africains les questions d’intégrité territoriale se règlent autour de séminaires, de colloques, de per diem, de petits fours et de croissants.
Le statu quo de ni paix ni guerre obéissait à une logique de pourrissement et de chaos. C’est mon postulat. L’opinion de l’expert suisse du renseignement Jacques Baud ( présenté comme un conspirationniste par des think tanks financés par l’Union Européenne et les USA, on peut lui concéder au moins sa neutralité helvétique) est instructive. Dans son ouvrage ( en photo), il tente de déconstruire des idées reçues en matière de sécurité en confrontant les actes des politiques et les sources officielles de ces actes. Dans la guerre syrienne, de l’aveu de John Kerry dévoilé par Wikileaks, l’enjeu n’était nullement l’anéantissement de l’Etat islamique que les alliés occidentaux ont laissé prospérer pour en faire un contre-poids dans les négociations avec le pouvoir central d’Assad. La coalition n’avait pas prévu l’entrée en scène de la Russie. Cette stratégie d’inspiration atlantiste a prévalu pendant dix ans dans le nord du Mali. Moussa Mara, jeune et fougueux Premier ministre d’IBK ne dira pas le contraire, lui qui a voulu se rendre à Kidal contre l’avis de Paris et de la Minusma en 2014.
Une nouvelle architecture de sécurité collective érigée de façon endogène et stratégique est en marche au Sahel. Elle est loin de la verticalité et de l’extraversion du G5 Sahel noyé par la mainmise opérationnelle de Paris. Il faudra désormais faire avec plutôt que se murer dans un nombrilisme condescendant et un enfermement intellectuel de civilisation.