« Qu’est-ce qu’un journaliste ? C’est un homme qui d’abord est censé avoir des idées. C’est ensuite un historien au jour le jour, et son premier souci doit être de vérité. Peut-on dire aujourd’hui que notre presse ne se soucie que de vérité ? » 80 ans après, cet éditorial d’Albert Camus en date du 1er septembre 1944 a une forte résonnance déontologique.
Produire des articles estampillés du sceau de l' »exclusivité », alors qu’ils ne sont qu’un ramassis de causeries de salons feutrés ou une dictée convenue de communicants politiques issus de palais présidentiels où on a confortablement ses entrées. Ce journalisme de confidentialité et non d’investigation nourrit tout mercenaire de la plume. Il a servi et il sert encore de charpente au modèle économique d’un certain nombre de magazines en papier glacé plus soucieux de pérenniser le système clair-obscur qui a fait leur prestige que de prendre position ouvertement dans le processus d’indépendance structurelle irréversible du « jeune continent » dont ils se targuent de défendre l’image.
Il n’y a aucune prouesse à pratiquer du journalisme de confidentialité. C’est de l’espionnage de seconde main. Vous ne livrez que ce qu’on vous autorise à ventiler. La liberté ne s’y trouve pas.. enfin.. pour ceux qui n’ont pas encore bradé la leur. Dossiers exclusifs bien informés, déconstruction programmée et méthodique d’un opposant gênant, récits de légende, annonces prémonitoires commandées suivies de questions-sondages. L’offensive est bien huilée. Les palais présidentiels africains acquis à ce modèle se prêtent au jeu. Une certaine élite bien-pensante a fait de ces magazines ses références de lecture. Le Noir se trouve plus beau dans le miroir de l’autre dont il attend toujours une validation. C’est connu.
L’opinion se fabrique comme le souligne Serges Halimi dans « les nouveaux chiens de garde ». Les moyens pour influencer l’opinion à partir de Paris sont beaucoup plus raffinés. Il n’y a donc plus aucun complexe à se faire quand on parle du journalisme « tropical » accablé du stéréotype de »presse d’opinion peu professionnelle » qu’il faut « former » à coups de subventions et de financements d’institutions dont se délectent des cabinets privés intégrés au système.
Communication politique et journalisme sont deux jumelles qui entretiennent des relations incestueuses avec à la manette des orfèvres qui n’ont aucun état d’âme. L’offre politique est réduite à un produit commercial à vendre à des consommateurs. Le vrai débat, c’est la question d’un modèle économique alternatif, indépendant, déconcentré échappant aux officines qui après s’être enrichies au moyen de contrats léonins et monopolistiques jettent désormais leur dévolu sur des profils politiques à imposer subtilement.
L’art du récit de légende a encore des adeptes. Médias alternatifs et veille citoyenne peuvent et vont déshabiller ce journalisme de confidentialité qui se gave de nos propres impôts.