La Côte d’Ivoire enregistre depuis hier plus de 117.000 nouveaux bacheliers pour un taux de réussite de 34,17 % , en hausse de deux points par rapport à 2023. On a assisté hier à des scènes d’hystérie dans les 559 centres d’examen répartis sur le territoire national. Bon point pour la ministre Mariétou Koné qui continue d’imprimer sa marque d’efficacité et de discrétion à l’école ivoirienne, comme ses illustres prédécesseurs Lambert Amon-Tanoh, Paul Akoto Yao, Odette Kouamé, Vamoussa Bamba, Saliou Touré ou encore Pierre Kipré. Le bac et ses émotions, une histoire que tout bachelier garde au fond de sa mémoire.

J’ai retrouvé la collante de mon bac 1998 sous le ministre Pierre Kipré. Il y a 26 ans, le sujet de philosophie de la session de juin était libellé comme suit : « L’homme peut-il échapper à l’irrationnel ? ». Pour le frêle lycéen de 18 ans que j’étais, le sujet se révélait inspirant. Je venais de perdre mon père en février, à la suite d’un tragique accident aux circonstances rationnellement inextricables. Il était l’inspecteur de l’enseignement primaire de la ville de San Pedro depuis deux petites années. J’ai encore en mémoire la scène du proviseur du lycée moderne prononçant les résultats, mégaphone en main, dans une cour de lycée électrisée. J’ai décroché le bac littéraire série A2 avec la mention bien, une note de 15/20 en philosophie, un total de 296 points/ 400, me classant ainsi premier bachelier de la région et parmi les meilleurs de la cuvée 1997-1998 sur le plan national, devancé par les bacheliers scientifiques. Je ne venais pas d’un lycée d’excellence.

Depuis hier, on salue les taux de réussite qui frôlent 100% dans les établissements d’excellence décrétés en Côte d’Ivoire. Cette vision élitiste fondée sur la compétition scolaire me gène personnellement. Calquée sur la summa divisio entre scientifiques et littéraires, elle instille d’abord une sorte de compétition qui n’a pas lieu d’être en milieu scolaire. Elle produit souvent dans la tête d’élèves sortis de ces « moules d’excellence » un complexe de supériorité larvé qui transparait souvent dans leur prise de parole. L’école doit révéler en chaque enfant le meilleur de lui-même. Chaque enfant a un potentiel singulier que l’école doit aider à mettre en valeur.
Il y a surtout ce manque d’équité qui frappe les écoles « d’excellence » et les autres établissements publics. Effectifs pléthoriques, manque d’enseignants, indigence du plateau didactique. En clair, on entoure les uns de toutes les conditions propices à une réussite retentissante et on demande aux autres de se débrouiller.

Lors de mon récent séjour à San Pedro, j’ai rencontré le directeur régional de l’Education nationale pour lui faire part de mon projet de présentation de Bardot 18 ( mon deuxième roman en hommage à San Pedro ) au jeune public des lycées et collèges de la région. Il a donné son accord et m’a convié à la journée de l’excellence organisée par sa direction le 11 juillet prochain à l’Université polytechnique de San Pedro. Mon agenda ne me permettait pas de rester plus longtemps. On a pris rendez-vous pour l’année prochaine.

26 ans après, je suis revenu sur mes pas, au lycée où j’ai obtenu mon bac. Il a été rebaptisé « Lycée moderne Inagohi ». Rien n’a vraiment changé. La petite bibliothèque du lycée n’a jamais été agrandie. la salle est peu éclairée, les rayons vides. Il y a 26 ans, je marchais jusqu’à l’Alliance française pour emprunter un roman ou un ouvrage. Un quart de siècle plus tard, le jeune collégien ou lycéen de la ville fait le même trajet. Pas de bibliothèque à la hauteur de la ville. Pourtant, on y brasse des milliards de FCFA chaque jour et la ville est en chantier. San Pedro, c’est le premier port d’exportation du cacao au monde.

On a beau jeu de parler d’excellence à l’école en félicitant les taux de réussite d’un ministre, les problèmes structurels demeurent de régime en régime. Ils pèsent sur le rendement des enseignants et des élèves. Les tares de l’école ivoiriennes s’accumulent. Paradoxalement, comme une vieille marmite, l’école ivoirienne continue d’être un vivier inépuisable de pépites qui font la fierté du pays.

Personnellement, j’attends du prochain président ivoirien une vision structurante de l’école qui donne sa chance à tous les enfants de ce pays

Zran Fidèle GOULYZIA

About Zran Fidèle GOULYZIA

administrator
Docteur en Droit international - Ecrivain - Journaliste