Il y a tout juste 20 ans. Les 20 et 21 juin 2004, dans un contexte de conflit armé interne qui divise le pays en deux ( et qui fait du Burkina Faso exportateur résiduel de fèves de cacao) , la rébellion armée ivoirienne fait face à une bataille de leadership entre factions rivales à Korhogo dans le nord. Trois charniers de 99 corps sont découverts par la mission d’enquête de l’Opération des Nations unies. Le rapport onusien de juillet 2004 explique qu’une soixantaine d’hommes désarmés sont morts par suffocation dans un conteneur placé au soleil.
En octobre 2002, lors de la reprise de la ville de Daloa aux mains des insurgés du MPCI par les forces régulières ivoiriennes, on dénombre une soixantaine d’exécutions sommaires de civils désignés simplement comme sympathisants de la rébellion.
Dans la période du 6 au 9 octobre 2002, un charnier constitué de deux fosses a été signalé dans le cimetière communal de Dar-es-Salam à Bouaké. Le rapport de la commission d’enquête de l’ONU dénombre quatre-vingt-dix corps parmi lesquels quarante huit gendarmes et trente-sept membres de leurs familles ainsi que sept autres civils détenus. Les gendarmes abattus étaient désarmés et appartenaient au 3è bataillon d’infanterie de Bouaké.
Le 5 décembre 2002, un charnier d’environ 120 corps est découvert à Monoko- Zohi dans le secteur de Dania, au sud de Pélézi, à Vavoua, centre- ouest ivoirien. Il est attribué selon le rapport de l’ONU à une offensive des forces régulières ivoiriennes ciblant des travailleurs immigrés soupçonnés de soutenir la rébellion. Le conseiller spécial du président ivoirien de l’époque, le juriste René Dégni Ségui ( rapporteur spécial de l’ONU au Rwanda, le premier expert à avoir qualifié la situation rwandaise de génocide ) déconstruit le rapport onusien relativement à la matérialité des faits et à l’exactitude des témoignages. Les experts de l’ONU reconnaissent n’être jamais allés à Monoko-Zohi. Plus de 20 ans après, on ne sait pas qui a fait quoi à qui à Monoko-Zohi.
Le 2 décembre 2002, une dizaine de femmes appelées ‘’danseuses d’Adjanou’’, pratiquantes d’une danse d’exorcisme, sont enlevées et tuées par des éléments de la rébellion dans une forêt près de Sakassou dans le centre du pays.
Pour des faits relevant strictement de sa compétence matérielle, le Bureau du procureur de Cour pénale internationale s’illustre depuis 2011 par une politique générale de poursuite parcellaire frappée d’une incomplétude contre-productive. La justice ivoirienne ne fait pas mieux.
Dans un contexte différent de violence interne électorale en 2020, de jeunes Ivoiriens ont eu le cynisme de décapiter un autre Ivoirien plein de vie, de jouer au foot avec sa tête dans une scène surréaliste. Aucune trace des auteurs quatre après.
Aucune prétention d’exhaustivité dans cette litanie macabre. Un seul constat. Cette terre boit le sang de ses propres enfants depuis bien longtemps. Du Sanwi à la rébellion, à la crise postélectorale de 2010-2011 en passant par les massacres guébié, on feint souvent de ne pas identifier la chaîne de commandement ayant présidé à ces horreurs. En général, les acteurs de premier plan deviennent des héros intouchables pour leurs camps respectifs et voient leur statut social s’embellir, sur l’autel de vies sacrifiées. Pendant combien de temps la mémoire ivoirienne sera-t-elle gorgée du sang innocent de ses fils et filles?
A quoi bon jouer les archéologues impertinents des temps impies ?
« ça va pas quelque part ». Les gens sont préoccupés par une seule chose : amasser des biens et des privilèges périssables pour devenir eux aussi puissants dans un réflexe boulimique nauséeux.
Terre d’amnésie. Côte d’Amnésie