« Alassane Ouattara contre la Nation ivoirienne ». C’est le titre audacieux du dernier livre de l’homme politique ivoirien Innocent Anaky Kobenan que j’ai rencontré en mars dernier au Salon du livre africain de Paris. Un sévère réquisitoire de 200 pages composé d’un propos liminaire et d’une interview fleuve, véritable coup de fouet contre la gouvernance économique, politique et sociale du président ivoirien. J’avais des questions pour l’homme politique à Paris. Il m’a demandé de lire son livre. « On en reparlera », a-t-il promis. Je ne crois pas aux promesses des politiques et j’évite le piège de la familiarité avec eux. Trois mois après, je viens de saisir la quintessence de son réquisitoire. Et j’ai toujours envie de questionner son engagement politique.

Anaky Kobenan n’est pas n’importe qui dans le landerneau politique ivoirien. Il a été du congrès du FPI à Dabou en 1988. Trois années dans les geôles d’Houphouët Boigny ont ruiné ses acquis de transitaire prospère. Et puis, ce contentieux d’ego avec ses anciens amis du FPI a scellé le divorce. Il n’a certainement pas digéré que ses propres camarades d’hier lui arrachent le fruit de toute sa dévotion aux affaires de transit maritime, malgré son insistance à rencontrer en personne le président de la République d’alors Laurent Gbagbo, son camarade d’hier.

A 76 ans, Anaky Kobenan a encore l’élégance du verbe et de la posture. Mais ma question demeure. Quel intérêt avait-il, lui ancien prisonnier d’Houphouët, à former une coalition houphouétiste en 2005 ? Pour faire mal à ses camarades ? Regrette-t-il aujourd’hui ? Au final, son propre parti a été vidé de sa substance par la coalition qui l’avait fait siéger au gouvernement de Marcoussis. Il a rompu les amarres avec le RHDP depuis 10 ans. Il appelle désormais à un rassemblement contre Alassane Ouattara qui lui-même entretient un faux suspense sur son quatrième mandat à la tête de la Côte d’Ivoire. Au hasard d’une rencontre ou dans ses mémoires d’homme politique, Anaky Kobenan répondra certainement à ces questions. Mais son parcours politique ne manque pas de corroborer ma méfiance à l’égard du système partisan.

Mon problème avec le système partisan est là. Je le perçois comme un broyeur de destinées et de convictions par la verticalité du leadership qui en est le moteur et par son mode de financement opaque.
Des associations d’abord privées au sens du droit positif interne d’un Etat qui, engagées dans le champ sensible de la conquête du pouvoir politique, deviennent des fervents de mobilisation populaire et cristallisent des tensions entre communautés, surfant sur le venin de l’ethnocentrisme pour fissurer le fragile mur de la nation. Des associations privées qui perçoivent des financements publics et qui vous diront quand elles ont le dos au mur qu’elles n’ont aucun compte à rendre sur le mode de désignation de leurs champions.

Dans ces associations, la verticalité du Chef s’impose à tous. Le Chef sait tout, il ne conçoit la lumière par lui et pour lui. Celui qui se croit plus intelligent que lui signe son arrêt de disgrâce. Logique et simple. Il n’y a pas deux chefs ni deux visions dans un bateau. Soit vous épousez la vision du Chef, soit vous quittez le navire. Cette verticalité est un tombeau ouvert pour les intelligences et les compétences qui se font une guerre larvée autour du fameux Chef qui par cynisme nourrit la mystique de son patronyme à cette mare aux crocodiles. Le système partisan aime et recrute à la fois compétence et incompétence. Tout est dans le gain politique que le chef tire de ses fidèles lieutenants. Le zèle et la délation autour du Chef sont des ascenseurs sociaux.

Le mode de financement du système partisan pose lui-même problème. Le financement institutionnel des partis politiques est une avancée notable mais ne résout pas grand-chose. Un parti d’opposition a besoin de mécènes, un parti au pouvoir, de caisses noires de l’Etat. Conséquence, le Chef une fois au pouvoir ne peut pas tenir rigueur à des camarades de lutte qui ont financé son ascension, même quand on lui rapporte leurs malversations. Et si les bourses du parti sont tenues par des âmes peu vertueuses, le Chef peut voir sa vision pervertie.
Le système partisan est avant tout un système de récompense. Y a-t-il des âmes vertueuses pour financer des politiques au nom de l’amour des libertés et de la démocratie sans tomber dans la tentation de l’accaparement de l’appareil de l’Etat à des fins d’enrichissement personnel ? Si elles existent, elles sont bien rares.

On a beau l’agonir de tous les maux, le système partisan fait le fier. Comment conquérir et exercer le pouvoir politique sans appareil ? A un niveau local, c’est possible. Mais à l’échelle nationale, impossible de remporter une élection présidentielle en l’état sans être porté par un appareil. Et même sans appareil, une fois au pouvoir, il faudra composer avec le système partisan pour gouverner. Suffit-il d’appeler à un jeunisme politique pour barrer la route à la gérontocratie ambiante du système partisan ? Rien n’est moins sûr. C’est un raccourci. Les jeunes peuvent faire pire dans la personnalisation du pouvoir. Indice perceptible, la confection personnalisée de gadgets de mobilisation à l’effigie du Chef en dit long sur le poids de l’héritage du système partisan.

Facile de râler dans un canapé douillet devant des débats télévisés orientés. Facile de jouer l’érudit sur un clavier. Il faut s’engager sur les choses qui concernent la gestion de la Cité, avoir un regard critique et constructif sur les affaires communes. Il faut se politiser !
Je crois personnellement à la force du mouvement citoyen d’abord spontané puis structuré. Les sociétés civiles ne se ressemblent pas. Au Sénégal, un mouvement d’humeur citoyen peut faire reculer un gouvernement sur une mesure sociale. La même mesure sociale peut rencontrer indifférence et distraction en Côte d’Ivoire.

J’ai confiance en une race de femmes, d’hommes, de jeunes à l’intelligence renouvelée sur la gestion de la Cité. Cette race réussira à confondre tous les travers du système partisan qui nous force à bouffer avec voracité la fange de la médiocrité.

Zran Fidèle GOULYZIA

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Docteur en Droit international - Ecrivain - Journaliste