C’est à croire que, chaque année, les Ivoiriens seront réduits à l’impuissance, embourbés dans un décompte macabre, après le passage ravageur des eaux. Chaque année, à la même période, l’indignation enfle sur les réseaux sociaux pour ensuite s’étioler après les dons ou manifestations de solidarité aux allures de communication de proximité déguisée. Des manifestations de solidarité qui cachent une désolante insuffisance structurelle.
Fatalité redondante
« On ne peut rien contre la nature quand elle est déchaînée », ou « mêmes les plus grandes capitales au monde ne sont pas épargnées », morceaux choisis d’un sentiment ambiant de fatalité. Une chose est à saluer: les Ivoiriens sont restés formidables de solidarité et de dignité pour honorer la mémoire des victimes et aider les sinistrés face aux ravages des inondations de ce début de semaine. La récupération politique de bas étage n’est pas loin non plus et certains activistes politiques s’y adonnent à cœur joie. Pourtant, l’heure n’est pas aux récriminations au vitriol secrétées par la haine viscérale de l’adversaire politique.
En attendant le retour précipité du président Ouattara au pays, on a assisté à une forme de communication de crise poussive avec des visites de personnalités auxquelles les populations sinistrées sont habituées. En de telles circonstances, il n’est pas cynique d’affirmer que les communicants sont moins obsédés par le sort des victimes que par la visibilité de leurs mandants sur les réseaux sociaux et les médias publics. Le crime impardonnable ici serait de ne pas se bouger alors que tous les adversaires politiques s’agitent.Malgré la solidarité agissante, les insuffisances structurelles de l’Etat ivoirien se révèlent odieuses au grand jour.
Une réponse structurelle dépassée
Une cellule de crise interministérielle autour du Premier ministre, l’intervention du patron de la protection civile qui se résume en des conseils et une organisation de secours aussi spontanée que déstructurée; on ne peut pas dire qu’il n’y a pas eu d’agitations autour du sinistre. Chaque autorité a voulu marquer son territoire en attendant l’épisode de juin 2019.
Quid du plan Orsec que le ministre de l’Intérieur ou à tout le moins le préfet du département d’Abidjan aurait pu déclencher depuis. Certainement que l’étendue du désastre ou son intensité ont été jugées en deçà des normes requises pour ce plan d’urgence pré-établi ou qu’on attend le retour du président de la République. Mais même déclenché , il ne résoudrait pas grand-chose.
En 2005, jeune secouriste bénévole à la section locale de la Croix-Rouge de Cocody, j’ai pu mesurer l’ampleur de la tâche des sapeurs pompiers de l’Indénié, à l’épreuve d’un stage à leurs côtés. Il y a bien longtemps que les sapeurs pompiers se plaignent d’être le parent pauvre des corps habillés.
L’Office nationale de la protection des civiles en Côte d ‘Ivoire, c’est une centaine d’agents sans forte représentation en province et sans moyens conséquents. La Côte d’Ivoire tourne encore autour du ratio d’un pompier pour 20.000 habitants malgré l’incorporation d’ex-combattants dans la corporation.
Le lugubre ménage scellé entre inondations et morts a la peau dure. Mi-juin 2009, la furie de la nature avait fait plus d’une vingtaine de morts, des disparus,
une cinquantaine de familles sinistrées des forces de l’ordre et plus de 200 étudiants sans-abris. Le ministre de l’Intérieur de l’époque, Désiré Tagro, avait enclenché le plan Orsec, riposte structurée de l’Etat ivoirien face à un désastre mettant en péril la sûreté et la sécurité des populations civiles.Depuis 1979, un décret organisant le plan de secours à l’échelon national existe. C’est sa mise en oeuvre qui est chaotique.Le plan Orsec n’est pas non plus une panacée. Il ne fait que poser les balises d’une intervention structurée d’urgence.
Aller plus loin pour venir à bout de l’incivisme
On a beau faire l’insurgé sur les réseaux sociaux, les réponses structurelles nécessitent un changement de mentalité dans la gouvernance. Trop facile de mettre tout sur le dos du régime Ouattara. Accusé de froideur quand il s’agit de déguerpir des populations de quartiers précaires, le même régime est accablé par toute sorte de critiques quand il s’agit des mêmes quartiers précaires sous les eaux.
Mais cette fois-ci , les recoins du quartier résidentiel de la Palmeraie à Cocody n’ont pas été épargnés. Des constructions légalement autorisées sur des emprises d’évacuations sont légion. La corruption au ministère de la construction et du logement est un fléau devant lequel on est résigné. Pourquoi la Haute autorité pour la bonne gouvernance n’a pas encore épinglé ouvertement les acteurs de ce juteux milieu? L’urbanisation faussée du Grand Abidjan continue de nous jouer des tours alors que de compétents urbanistes et architectes sont sur le carreau, incapables de trouver leur voie dans un monde de l’immobilier accaparé par le clientélisme.
Il n y a de richesse que d’hommes.La redondance de cette assertion de Jean Bodin continue de résonner invariablement aux tympans obstrués de dirigeants, agents impénitents d’un néo-libéralisme sans cœur.