« Je vais aller m’asseoir sur le rebord du monde voir ce que les hommes en ont fait ».Un regard sur notre cheminement existentiel, des paroles de Francis Cabrel qui me parlent. Cette photo, je l’ai prise en janvier 2015 au Wharf de Lomé. Aujourd’hui 27 avril est jour de fête nationale au pays de Sylvanus Olympio. J’ai une pensée pour tous mes frères et sœurs du Togo où un seul patronyme régente la vie de l’État depuis six décennies. À cette occasion, j’ai envie d’interroger ma propre condition existentielle plutôt que de tancer le lointain voisin.
Je suis né en 1980, la veille de la fête nationale togolaise. Je suis de la génération sacrifiée, celle de « la conjoncture » chantée par Hilarion Nguema.Les premières années de ma vie, ma mère me mettait au dos dans le pagne du même nom, dans ma ville natale, Man dans l’ouest ivoirien. Ma dernière chaussure « Bata » que mon père instituteur de formation m’a achetée, c’était en 1986 à Odienné, dans le nord-ouest. Dix ans durant, j’ai tissé mes plus belles amitiés dans le Kabadougou. Chaque samedi, dans le village de « Gnankafissa », j’aidais mon père dans le champ familial où nous cultivions igname, patate, maïs et arachide.Je cultivais également mon potager pour vendre mes légumes au grand marché de « Sokrouani ».
Puis en 1996, j’ai débarqué dans le sud-ouest ivoirien à San Pedro, j’y ai tissé de vraies amitiés. J’y ai obtenu mon bac littéraire en 1998 avec la mention Bien, avant de moisir deux années au campus de Cocody comme trois générations de bacheliers, en raison de deux années blanches.Nous étions à l’époque de la fameuse réforme Wodié, du bouillant secrétaire de l’influente Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire Blé Goudé et du régime finissant du sphinx de Daoukro. Puis en pleine année de licence de droit public, en cité universitaire de Vridi, la même Fesci nous annonçait la prise des grandes villes du pays par une rébellion en 2002.
Plus d’une décennie de crise avec le tragique dénouement que l’on sait. Mais les comptes sont loin d’être soldés et de nouveaux nuages noirs s’amoncellent dans le ciel de mon pays. Entre une vieille aristocratie locale à l’appétence vorace, une nouvelle aristocratie fougueuse qui s’est bâtie sur les prébendes des marchés publics et le terreau fertile de la partition du pays par les armes, et une gauche historique en pleine déconfiture, invectives, déchirements sont les mots les mieux partagés. Le même cycle se prépare avec les mêmes ingrédients et les mêmes acteurs aux rôles inversés.
Dans ce ping-pong insipide de « pro-pro », il y a une Côte d’Ivoire laborieuse, celle de l’ombre qui se révélera tôt ou tard.Une autre Côte d’Ivoire est bien possible et les génération sacrifiées de 1980, 1990 et 2000 qui n’ont pas pris part au banquet partisan des deniers d’Etat qui a engraissé les gloires factices d’aujourd’hui auront leur mot à dire. C’est une affaire de Génération !