Année scolaire 1993-1994, 4è, Collège moderne d’Odienné, nord-ouest ivoirien. Sur cette photo prise au premier trimestre de l’année, je suis en cours d’éducation physique et sportive ( EPS). Nous sommes en décembre 1993. Au lendemain de l’annonce du décès de Félix Houphouët-Boigny, ma classe a EPS. Dans la cour du collège, nous nous posons des questions ingénues sur l’avenir de notre pays. Que va devenir la Côte d’Ivoire sans la figure tutélaire de la lutte pour l’indépendance ? La phrase la plus commentée, c’est le fameux  » mettez-vous à ma disposition » de Bédié, dans son discours à la télé, la veille. L’application de l’article 11 de la Constitution qui a taillé la place de dauphin au président de l’Assemblée nationale fait débat. Les collégiens sont loin d’imaginer qu’une crise sans fin vient de s’ouvrir.

Plus de 30 ans après, on a envie de pousser ce refrain de Francis Cabrel: « Je vais aller m’asseoir sur le rebord du monde voir ce que les hommes en ont fait ».
Je suis né en 1980, la génération sacrifiée, celle de la conjoncture chantée par Hilarion Nguema. Les premières années de ma vie, ma mère me mettait au dos dans le pagne du même nom, à Man, ma ville natale dans l’ouest ivoirien. La dernière chaussure « Bata » achetée par mon père instituteur, c’était en 1986 à Odienné. Dix ans durant, j’ai tissé mes plus belles amitiés dans le Kabadougou. Je suis enfant de la campagne.

Chaque samedi, dans le village de « Gnankafissa », j’aidais mon père dans le champ familial où nous cultivions igname, patate, maïs et arachide. Je cultivais également mon potager pour vendre mes légumes au grand marché de « Sokrouani ». Puis en 1996, j’ai débarqué dans le sud-ouest ivoirien à San Pedro pour suivre mon père affecté à son premier et dernier poste d’inspecteur de l’enseignement primaire. J’y ai obtenu mon bac littéraire en 1998 avec la mention Bien, avant de moisir deux années durant au campus de Cocody comme trois générations de bacheliers, en raison de deux années blanches.Nous étions à l’époque de la fameuse réforme Wodié et du bouillant secrétaire de l’influente Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire, Blé Goudé. Puis en septembre 2002, en pleine année de licence de droit public, en cité universitaire de Vridi, la même Fesci nous annonçait la prise des grandes villes du pays par une rébellion.

Plus d’une décennie de crise avec le tragique dénouement que l’on sait. Mais les comptes sont loin d’être soldés et de nouveaux nuages noirs s’amoncellent dans le ciel de mon pays. Entre une nouvelle aristocratie vorace qui ne se voit pas retourner dans l’opposition, une ancienne aristocratie qui en a marre d’errer à la périphérie des pouvoirs successifs, une gauche historique en pleine déconfiture, invectives, déchirements sont les mots les mieux partagés. Comme si la vie d’une nation était suspendue à une élection ! Démocratie sans démocrates.
Dans ce ping-pong insipide de « pro-pro », Il y a une Côte d’Ivoire laborieuse, celle de l’ombre qui se révélera tôt ou tard. Une autre Côte d’Ivoire est bien possible et les générations sacrifiées de 1980, de 1990 et de 2000 qui n’ont pas pris part au banquet partisan des deniers d’Etat qui a engraissé ceux qui se croient indéboulonnables aujourd’hui, auront leur mot à dire. Les adolescents de 1993 ont bien grandi.
« On est prêts Opi on est là ! »

Zran Fidèle GOULYZIA

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Docteur en Droit international - Ecrivain - Journaliste